Une paquerette qui pousse dans le bitume, allégorie de la vulnérabilité forte de l'artiste

Une exploration intime

Mais d’abord, c’est quoi la vulnérabilité ?

Elle fait partie des mots qu’on emploie assez facilement, on pense en connaître le sens et très souvent, on oublie les subtilités qu’elle contient.

Si on jette un œil au dictionnaire, on constate qu’il nous donne 3 définitions principales :

  • Qui est exposé à recevoir des coups, des blessures,
  • Qui est exposé aux atteintes d’une maladie, qui peut servir de cible facile aux attaques d’un ennemi,
  • Qui, par ses insuffisances ou ses imperfections peut donner prise à des attaques.

En s’arrêtant là, on a vite fait de penser qu’être vulnérable, c’est être fragile mais les écrits autour du travail social nuancent ce raccourci en ajoutant que la fragilité c’est un état permanent alors que la vulnérabilité est plus accidentelle. 
En fait, on devient vulnérable soit parce qu’un impondérable s’est produit (un accident, une rencontre toxique), soit parce que nous acceptons de nous mettre en situation de vulnérabilité. 

En créant par exemple.

Pot avec pinceaux et couleur

Créer, c’est accepter sa vulnérabilité

Créer de manière authentique demande de se connecter à nos émotions, de les écouter, de les laisser nous traverser et de les laisser s’exprimer. Ce n’est pas toujours facile et encore moins confortable. 
Par contre, c’est courageux.  
Courageux parce que ça implique de partager nos émotions, nos expériences intimes parfois et même nos imperfections à travers notre création. Créer, ce n’est pas juste nous montrer nous en tant que personne, il s’agit plutôt de faire le tour et d’offrir au regard des autres l’illustration de notre être profond, de l’humain que nous sommes.

Bien sûr, on peut aussi faire le choix de rester juste à la surface et ne pas vraiment explorer lors de nos temps de créativité mais le résultat est-il aussi intéressant ? C’est sans doute une question de point de vue. 
Pour ma part, je suis persuadée que l’art a vocation à “soigner”, à venir en soutien, aussi bien dans les moments compliqués que dans les moments de joie ; aussi bien à recevoir qu’à offrir.

Quand je crée, je suis plutôt du genre à explorer mes émotions, même les plus complexes et même si elles sont difficiles ou chargées. Parce que je me dis que si je les ressens, d’autres doivent les ressentir. Peut être que si cette toile sur laquelle je travaille est exposée, elle rencontrera le regard d’une personne qui a besoin de ce regard là pour aller mieux à son tour. 
Et là, cette vulnérabilité devient une force d’une puissance incroyable.

Peinture en cours

Différentes facettes de la vulnérabilité dans le processus créatif

(Et comment les contourner si besoin)

  • Quand on se raconte soi-même : Là, c’est évident, on partage notre histoire, on l’illustre même et on la “donne à voir”. Si c’est un peu (voire trop) inconfortable pour toi, pense aux métaphores, aux styles d’écriture indéchiffrables, à ton imagerie personnelle qui ne parlera à personne (du moins pas très clairement) et même au recouvrement pur et simple de ton expression. Il est tout à fait possible d’écrire ce qu’on a sur le cœur de façon tout à fait illisible ou alors de réaliser un collage sur cet écrit. Il sera alors présent, tu auras pu le décharger, mais ne sera pas directement accessible à ton spectateur.
  • Quand on montre son processus créatif : Le vrai, pas celui qu’on réserve aux réseaux sociaux. 
    Ca peut être très inconfortable de partager ce moment où on est coincé, où on se rend compte qu’on fait de la 💩 et qu’on ne sait pas par où s’évader. J’ai vécu ça quand j’ai tourné “Jardins Abstraits“. Dans l’atelier final, il s’agit de reporter sur une toile ce qu’on a fait dans un cahier auparavant et là, rien à faire, je tournais autour du pot sans trouver comment transformer mes pâtés d’acrylique en quelque chose qui me convienne. Dans ce cas là, il faut respirer un bon coup et convoquer un truc qui nous fait souvent défaut, la confiance et ensuite l’utiliser pour écouter notre intuition. Plus facile à dire qu’à faire mais je t’assure que ça te sortira de pas mal de positions inconfortable. La vérité, c’est que personne n’a envie de montrer ces moments de ratage, c’est à un tel point qu’on a l’impression que ça n’arrive qu’à nous … 
    Tu sais quoi ? Tous les artistes connaissent ça et j’ai envie de te dire que si tu l’expérimente aussi, ben ça ne veut dire qu’une seule chose. Tu es une artiste ! 
    Personnellement, j’ai choisi d’être transparente sur les ratés de mon process créatif et je constate que ça me soulage d’un grand poids. Je n’ai plus cette pression de ne devoir montrer que des “trucs qui marchent” et en même temps, même si ça peut paraître bête à dire, ça “autorise” mon public à rater lui aussi. Si tu veux d’autres exemples de ratés, il y en a un chapitre plein dans “Impressions à la Gélatine“.
  • Quand on sort de notre zone de confort et qu’on rencontre l’imperfection : Tester du nouveau matériel, se lancer dans un dessin qu’on ne maîtrise pas, tenter une nouvelle technique … Tout ça nous sort de notre “maison” créative confortable et nous pousse à explorer, à prendre des risques, à ne pas maîtriser grand chose voire même à rater. On peut même se dire que ce serait gaspiller que d’oser le truc. Le petit dessin juste en dessous devrait apporter une réponse à ce sentiment qu’on ressent toutes à un moment ou un autre. 
    Le seul échec, c’est de ne rien tenter. 
    Ca m’est arrivé au début d’acheter du matériel qui me faisait rêver et de juste le regarder sans oser y toucher pour ne pas le gâcher. Puis, un jour, je me suis dit que c’était bête, qu’il fallait que je l’utilise. Bah, la peinture était sèche dans les tubes … Tu parles d’une utilisation utile … 
    Quand tu sens cette crainte là pointer le bout de ton nez, contourne la en lui disant que tu vas juste jouer et t’amuser. N’y met aucun enjeu, aucune pression, juste du jeu. Prend ça comme si tu avais 10 ans en te demandant “qu’est-ce que je pourrais bien faire avec ce truc ?” et amuse-toi. il y a fort à parier que ça t’enlève un poids et que ça te permette de faire de jolies découvertes.
cible avec fléchettes et une autre vierge
  • Quand on se connecte à l’autre : Là, on arrive rapidement dans la zone du jugement.   
    Le jugement qu’on a peur que l’autre pose sur notre travail et surtout celui qu’on porte nous-même en nous imaginant à la place de cet “autre”.  
    Et souvent, nous sommes plus que critique, en tout cas bien plus que le public potentiel. On oublie souvent que de prime abord, le spectateur qui fait la démarche de voir ton travail est avant tout intrigué. 
    Tu te déplacerais voir une expo juste pour le plaisir de critiquer et de te moquer, toi ? Hé bien ton public non plus. 
    Il peut être surpris, ne pas comprendre, ne pas adhérer ou même être indifférent mais il sera avant tout curieux. De savoir comment, pourquoi et même quoi tout simplement. De comprendre d’où viennent les émotions qu’il ressent en regardant ce qui s’offre à ses yeux. Parfois même d’approcher quelqu’un qui ose montrer le fruit de son travail. Parce qu’une fois de plus, créer est un acte courageux, montrer ce qu’on fait demande de la bravoure, rencontrer son public implique de l’audace. 
    Et le spectateur sait tout cela, parce qu’il est capable d’empathie et qu’il peut s’imaginer ce qu’il ressentirait à ta place. Et cela crée de la connexion. C’est comme si, grâce à ta vulnérabilité d’artiste, tu créais de ponts entre toi, ton travail et ton spectateur tout en célébrant la palette des émotions qui rend ces liaisons possibles.

C’est beau, non ?

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4 Commentaires

  1. Bonsoir Sabyne, si tu savais le bien que ça me fait de lire tout ça, tu exprimes avec des mots justes, tout ce qui résonne en moi, en nous tous même je pense.
    J’aime les gens qui donnent beaucoup d’eux-mêmes afin d’aider les autres ; les gens qui s’exposent dans leurs “vulnérabilité”, qui se plantent parfois mais qui se relèvent et repartent au combat. Merci d’être réapparue dans ma vie au moment opportun. Je te souhaite le meilleur, bravo pour tous ces efforts que tu as faits, toi aussi t’es une “guerrière” :o)
    Stéphanie.

    1. Bonjour Stéphanie et surtout, merci pour ton commentaire.
      C’est toujours agréable de savoir qu’on apporte quelque chose aux autres, quelle que soit la taille de la petite graine qu’on plante, elle a son importance. Et j’adore l’idée de jardiner ici et là 😉
      Je te remercie aussi pour ton retour et tes encouragements, il a fallu du temps, c’est vrai mais comme tu le dis, je suis réapparue au bon moment et c’est tout à fait parfait comme ça <3

  2. Bonjour Sabyne, oui, je réalise que ce que je fais n’est pas forcément raté et à ne pas exposer aux regards des autres! La vulnérabilité, c’était un mot qui me faisait penser à faiblesse, et jamais je ne laissais voir mes créations ( mes émotions) de peur qu’elles ne soient pas à la hauteur; mais il a bien fallu que je me montre ainsi il y a un an lors de la découverte d’un cancer du sein et là toute mon armure s’est volatilisée…..je me suis laissée prendre en main, guider, aider, pleurer….. Maintenant j’ose montrer le fruit de mon travail sans croire que je vais être jugée, mais en pensant que l’autre va ressentir un petit quelque chose de moi !
    Comme tu le dis montrer ce qu’on fait demande de la bravoure, de l’audace; Merci pour tes partages et tes mots qui font du bien.

    1. Bonjour Christine,
      Merci beaucoup pour ton témoignage, il est courageux lui aussi 💓
      C’est vrai que la vulnérabilité est souvent associée à la faiblesse alors que moi, j’y vois plutôt une grande et belle sensibilité et la bravoure de se l’avouer et de la montrer. C’est aussi une grande force que d’être capable de nous “laisser voir” telle qu’on est, même dans nos failles.
      Je t’envoie tout mon soutien pour l’épreuve que tu traverses, prend bien soin de toi 🕊️

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